La cérémonie d'Awilé
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Ce n'est pas un Carnaval, mais ça y ressemble un peu. Ce n'est pas une cérémonie religieuse, mais ça y ressemble un peu. Ce n'est pas un psychodrame, mais ça y ressemble un peu…
Difficile pour nous de définir exactement ce qu'est cette fête d'autant qu'il est clair que nous ne saisissons que la surface des choses…
Bien sûr, nous savons ce que des Yovos doivent savoir…
Cette manifestation autrefois interdite par le pouvoir est la résurgence d'une fête animiste d'inversion des rôles. Inversion permettant aux villageois de régler leurs principaux conflits et donc de rétablir l'harmonie nécessaire à la survie du village.

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Nous avons vu les femmes joyeuses et affairées à la cuisine, et sous l'énorme ficus, les hommes réunis qui semblaient discuter avec une éloquence virulente. |
Nous avons vu les fétiches copieusement arrosés d'offrandes. |
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Les portes des couvents se sont entr'ouvertes, les initiés nous ont conviés à partager le sodabi avec eux… Et pourtant…. |
Toute la nuit les tam-tams ont parlé, se sont répondu d'un côté à l'autre du lac. On sentait bien qu'il se passait quelque chose. Comme si des ombres se déplaçaient dans le noir autour de nous et que nous n'ayons pas le regard suffisamment aiguisé pour les voir…
Vers 10 heures, le lendemain matin, dûment grimés, comme il se doit, nous partons à la rencontre des groupes qui arrivent de partout dans un vacarme assourdissant. C'est fabuleusement coloré. Poussière, chaleur, musique, mouvement. Ca rythme, ça danse, ça "tamtame". |
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Mille questions restent en suspens. Mais qu'importe. Seuls les blancs pensent qu'il faut tout décortiquer pour comprendre. Je me sens noire aujourd'hui. Vivre l'instant. Ici et maintenant.
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Quand sonne l'heure des féticheurs.
(Arrêt sur image de Christian Dedet, envoyé spécial du Monde)
"Hier soir déjà, les tambours résonnaient dans les huit villages de la rive est* du lac Ahémé, aux confins du sud du Bénin et du Togo. Les ruelles appartenaient aux zangbétos, ces" gardiens de la nuit" à l'apparence de meules de fibres tournoyantes. Leur mission: chasser le mal de la collectivité. A leur approche, on se claquemure dans les cases. Les enfants se terrent. Si, à l'aube, il restait un soupçon de discorde dans le pays, le " gongoneur " y mettrait bon ordre. Un très vieil homme, celui-là. Ployant sous sa charge héréditaire, dans le petit jour blême, il passe le long de la rive, lançant aux derniers esprits malveillants une admonestation modulée qu'il coupe de deux sons de cloche. On lui sert du " sodabi ", une eau-de-vie de palme à laquelle on a donné le nom de l'artilleur français qui introduisit l'alambic sous ces climats. Une goutte sur les gris-gris. Cul sec pour l'exorciste. Et notre homme reprend sa route, grande ombre boitillante qui se découpe sur le miroir des eaux.
L'arrivée du grand fétiche de Possotomé., est annoncée pour 10 heures ce matin. Un symbole que cette statue de divinité. Condamné à disparaître par le régime marxisant qui, avant de céder la place, en 1990, à l'actuelle démocratie, a tenté, vingt ans durant, de "planifier" le Bénin. Peine perdue. Les ennemis de traditions jugées archaïques se sont cassé les dents sur un fantôme de raphia. Sous l'écorce, le dieu a réagi: en 1986, un vent violent a arraché les toits en tôle ondulée de Cotonou. Saisis de frayeur, les néo-technocrates ont entendu le message. Les interdits levés, mille tam-tams sont ressortis des bois sacrés et le peuple de la brousse a retrouvé dans l'ancestral animisme dahoméen une identité que l'on croyait à jamais perdue.
Aujourd'hui, le grand fétiche de Possotomé se porte bien. Même si, en cette période d'intense activité vaudou au pays Adja-Fon, en cette éclosion de fêtes jubilaires au royaume d'Abomey, son arrivée se fait quelque peu attendre. Le gros tam-tam de la commune, lui, est déjà là, bientôt, suivi des premières congrégations d'Ouassa-Tokpa, d'Okoumé, de Possotomé... Les " couvents" (1) affluent de toute part. Les féticheurs brandissent leurs attributs fabuleux. Les maîtres de cérémonie et leurs acolytes agitent des grelots et frappent des calebasses. La plage grouille déjà de trois mille torses, et les deux ministres venus spécialement de Cotonou ne donneraient pas leur place pour une conférence internationale, aussi prestigieuse soit-elle. Délaissant les fauteuils façon Grand Siècle qui les attendaient sur le sable, ils sont debout, comme tout un chacun, pour vivre l'événement. De l'autre rive, les délégations approchent. Dix, vingt pirogues noires dont on entend le rythme ternaire des tambours et qui grossissent peu à peu dans la couleur d'argent si caractéristique de ces pays de lumière. Somptueux mélange de parures et de nudités de l'Afrique profonde. A midi, le ciel croule sous le vacarme: Awilé 94 sera un cru inoubliable."
* Une coquille dans l'article ! Possotomè est en fait, situé sur la rive ouest.
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